Emecka

"La couleur surtout et peut-être plus encore que le dessin est une libération." Henri Matisse "The colour above all and perhaps even more than the drawing is a liberation." Henri Matisse

Nouvelles & poésies

Peinture, musique et…écriture forment un trio inséparable dans ma pensée et dans mon énergie créative.

Mes écrits ne sont que des jaillissements poétiques, des fulgurances, des irruptions  souvent incontrôlées mais ils sont toujours soucieux d’embellissement de notre belle langue française. 

Modestement je les livre à votre lecture que je sais bienveillante.

Ici, règne donc un joyeux bazar.

Soir de feu

Photo personnelle

La main du peintre.

La main du peintre s’élance précise et sûre

Sur la toile à l’assaut des inspirations 

Que le peintre lui murmure

Elle fait chanter les couleurs joyeuses

Telles des émotions soyeuses

Elle nous emmène entre les obliques dessinées

Laissant les courbes danser

La main du peintre sûre et élégante 

Laisse sa joie vibrer éclatante!

Et puis, mes bluettes…

Le coin

Lors de votre ballade en ce jardin,

Quelle ne fut pas votre surprise

De trouver des pavés dans ce coin

Qui d’ordinaire ici, ne sont pas de mise.  

Point besoin, vous vous dites, de ces parements

Pour défendre quelconque barricade

Puisqu’ici, de révolution n’existe vraiment

Que celle du jardin, votre promenade.  

Alors peut-être, est-ce un coin de ralliement

Dévoué aux fidèles péripatéticiens

Qui, pris de plaisir ou d’épuisement

Reposent leurs sens sur ce banc ancien.  

Bienvenu, profite de ce coin de pavés !

Pense alors, à la quiétude du recoin

Même si d’aventure, il te prend de rêver

De jeter à l’adversité, les pavés du coin.  

Avertissement au candide  

D’aucuns disent, bien moqueurs pour le coup,

A propos de culture, qu’en posséder peu

C’est assurément l’étaler beaucoup !

Vieil adage à méditer cependant quelque peu.  

Explorons-le, au jeu des contraires :

En avoir beaucoup et la toute garder !

Voilà bien, égoïste et délétère

Une philosophie piètre et bon marché.  

Ami, ta connaissance, fut-elle modeste,

Intéresse l’Epicure que je suis ;

Elle vient, déterminée et sans conteste

S’unir à la mienne, la complétant ainsi.  

Au risque d’une coupable immodestie,

Etalons nos respectables avantages ;

Au repas des arts, avec grand appétit,

Chacun se sert encore et davantage.  

 
 
Le saule et les Zinnias




Un jeune saule solitaire et tortueux

Couvrait au printemps venu, d’un bien grand mépris,

Un parterre de Zinnias, petits mais nombreux,

Ecrasés par l’impudence du malappris.




Puis vint le temps de la chaude saison d’été

Où ces fleurs, d’une vraie grandeur se sont vêtues,

Semblant, le long du tronc de l’arbre gravir, et

Couvrant de couleurs les pieds du jeune têtu.




Bientôt, les regards visiteurs furent attirés

Par leur magnificence et leur géante beauté,




Plongeant dans un terrible et douloureux oubli,

Un jeunot à l’orgueil désormais ramolli.




Moralité :

Gardes-toi, au printemps, de toute présomption

Devant ladite faiblesse d’un maigrichon !...



Bluette




Toi, s’il te venait l’idée, bien cavalière

Après quelques boissons goulûment consommées,

Contre le pied de cet auguste réverbère

De t’oublier, en d’autres termes d’uriner ;




Saches, vile et grossière engeance,

Que, sans nulle autre formalité

Tu rendras compte de ton incontinence

Par-là, précisément, où tu as fauté.




Quoi de pire en réalité qu’une miction,

Observée par toute la lumière érigée ;

Puisse-t-elle rendre impossible la mission

Qu’avant ces mots tu avais engagée.




Range donc ton idée buissonnière

Que tu sois chien, chat ou homo erectus

Passe ton chemin et tes basses manières

Pour un autre lieu digne de tes reflux.




Moralité :

Pisser contre ce lampadaire

Se regrette la vie entière !...



Il y a d’abord le désir !

« Il n’y a pas d’idée derrière le désir, il y a d’abord le désir. »

J’en étais là de mes réflexions et je ruminais cette assertion depuis quelques heures. Je goûtais l’essence de ma joie de toutes mes papilles et je prolongeais ce plaisir aussi longtemps qu’il m’était possible. Il m’en avait fallu du temps, de l’énergie et de la sueur de méninges pour ce paroxysme. Mais reprenons depuis le début.

Le marais breton-vendéen était totalement inondé cet hiver là. Blanc, le marais était blanc comme se plaisaient à dire les plus vieux maraichins qui en avaient vu bien d’autres. Avant ! De leur temps…Cela catastrophait les jeunes générations très angoissées de voir les routes et chemins coupés, la disparition de la géographie si balisée, bornée de nos jours. En effet, il n’y avait plus de prés, de champs, de frontières perceptibles, plus de repères rassurants. La mer semblait avoir reconquis son ancien territoire et régnait de nouveau. Moult promeneurs et photographes en herbe tentaient maladroitement de s’aventurer dans ce milieu hostile aux étrangers et potentiellement dangereux pour qui n’assurait pas ses pas.

J’étais de ceux là ! Poussé par la seule envie de faire ce fameux cliché photographique unique, essentiel et  rare, je démarrais donc une balade que j’espérais payante à très court terme. Mais afin, de rendre ces inévitables œuvres encore plus émouvantes, j’optais pour le fameux « coucher de soleil sur le marais blanc ». La seule évocation de ce titre  me faisait frémir de plaisir. Garant ma voiture le plus loin possible sans risquer de tomber dans un étier,  j’inaugurais l’aventure par un sentier en surplomb dominant ainsi l’immensité des lieux. Très vite, j’avais pu profiter de la chute progressive du soleil, entre les rares arbres, vers cet océan magnifique mêlant l’avant et l’après, l’immense et l’infiniment petit, la musique des flots et le silence mystérieux. Mon appareil numérique se gavait de cette aubaine et présentait tous les symptômes d’une insatiabilité gargantuesque. Alors, je lui obéissais aveuglement et marchais, marchais encore. Je courais même par moment, alternant mes appuis sur tantôt des monticules et des buttes hors de l’eau, tantôt sur des bouts de ce sentier disparu. Sous les eaux !

Arrivé dans un espace moins submergé, mon chemin se dessinait plus nettement pendant que la lumière solaire s’affaiblissait indubitablement. Loin d’être saturé du bruit si caractéristique du déclic de l’obturateur et toujours en attente du moment où les couleurs allaient passer de l’ocre brumeux à l’orange-chrome si cher à William Turner, je m’enfonçais définitivement dans l’inconnu.  Là enfin tout était réuni pour saisir des instantanés inoubliables, pour voler au mystère un peu d’inespéré, pour assister, seul, au crépuscule des lieux. Cependant, un premier plan me semblait soudain nécessaire et un vieux mur au loin, me séduisait de toutes ses vieilles pierres. Hâtant le pas pour l’atteindre au plus vite, je pataugeais sérieusement dans la boue et ses circonvolutions. Toutes les positions étaient nécessaires pour mes prises artistiques et ma jouissance était proche de l’acmé.J’assistais ainsi en direct à la mort du soleil dans le marais. Et probablement à …celui de mon retour !

Le Canon s’était tu. Mon cerveau surexcité prenait lentement conscience de la situation qui pouvait d’ailleurs se résumer très simplement : il faisait quasiment nuit noire dans le marais blanc ! Je n’avais aucune possibilité maintenant de rebrousser chemin sans risquer de me noyer. Le soleil complice de mon escapade m’avait d’abord loyalement guidé vers lui mais il n’était plus. Il m’avait abandonné dans cet univers que je devinais très hostile, la nuit. Et la lune semblait très en retard au rendez vous. Sans moyen de prévenir, de faire appel, j’étais donc perdu quelque part dans l’immensité et riche probablement d’un trésor inestimable dans mon appareil photo. Comme stupéfait, je remontais machinalement la fermeture éclair de ma veste, remontais le col et tentais une incursion dans ma lucidité. C’est alors que le vieux muret me tendit sa crête supérieure, érodée et lessivée. Je m’asseyais en le gratifiant d’une pensée.

La perspective d’une nuit d’hiver dehors, en plein marais inondé, probablement sous la pluie qui ne manquerait pas de s’inviter, sans abri et sans possibilité de m’allonger aurait dû me paniquer, m’effrayer. Est-ce par inconscience ou par insolence vis-à-vis de la mort ? Je n’étais certes pas serein mais disons…optimiste. Après tout je n’étais pas vraiment seul car le vieux mur m’avait tout de même offert aimablement son flanc. Ma bonne santé ne pouvait qu’intimider la faucheuse qui rôdait probablement en quête d’organismes affaiblis et vieillissants. Que pouvait la nuit sur moi ? M’envahir de sa froideur et de sa torpeur, me saisir dans ses doigts de frayeur, me glacer de ses requiem, me pétrifier de ses brumes invisibles ? Au fur à mesure de ces questions, un mot bouclier commençait à se formuler dans mon esprit, dans mes oreilles, dans mes yeux et sur ma peau. Je ne l’avais pas senti se dessiner et pourtant il prenait forme, lentement, doucement, irrémédiablement. Conatus…

Avais-je d’autre choix que de vivre ? Le sacro saint réflexe de survie, sans doute. Mais je ne voulais pas vivre pour subir passivement toutes ces adversités. Non ! Vivre intensément cette expérience unique, activement, en l’acceptant comme épreuve complémentaire à mes préliminaires photographiques. Une vie de quelques heures d’une rareté absolue que je n’avais certes, pas anticipée, mais qui s’imposait à moi comme autant d’occasions de me dépasser. Il me fallait mobiliser toute ma volonté non pas pour résister mais bien pour braver puissamment les éléments. Puissance ! Voilà bien le moteur existentiel qui se mettait en route sourdement en moi. Une puissance d’exister. Une force qui me venait de je ne sais où et qui, j’osais le penser, me rendait euphorique. Comme de la joie. Conatus…

Bien-sûr, il y avait la souffrance physique liée au froid, à l’humidité et au vent. Ayant fini par délimiter un périmètre d’action sans danger, je m’activais régulièrement en marchant, en gesticulant, en me fouettant de mes bras pour lutter contre tout risque d’ankylose et de blessure du froid. De plus, le mur avait fini par me prêter un coin d’abri du vent. Mais là n’était pas l’essentiel. Ce qui m’avait conduit ici n’était autre qu’un désir fou. Pas un manque, naturellement. Une envie irrépressible de saisir une folie de la nature, d’embrasser un instant de grâce, d’étreindre une lumière surréaliste, de pénétrer un corps abstrait mais Ô combien amoureux. Si beau, si fort, si fou était ce désir qu’il m’emplissait encore de joie malgré le contexte. Un accès de libido. C’est bien de cela qu’il s’agissait. Conatus…

Ce mot me revenait sans cesse et de plus en plus fort à l’esprit. Spinoza, bien que disparu, semblait venir à mon secours et soutenir l’ordre de mes pensées. « On ne désire pas une chose parce qu’elle est bonne, c’est parce que nous la désirons que nous la trouvons bonne ». Ces  mots résonnaient en moi maintenant. Ce marais si beau le jour par ses lumières, ses reflets et ses couleurs m’offrait cette nuit là, ses mystères et son intimité. Je l’aimais donc à la hauteur de la majesté du cadeau et en retour lui donnais ma joie d’être. Lui concéder ma tristesse aurait été assurément une offense et de ce fait, ma perte.

L’aurore vint en son temps. Avec elle, d’autres images, d’autres lumières dont une qui me tirait par la main vers un passage salvateur. J’avais vaincu bien des démons durant ces quelques heures et une grande fierté me gagnait. Mon corps était éprouvé mais un halo de bonheur, j’allais dire de chaleur, m’entourait. « Il n’y a pas d’idée derrière le désir, il y a d’abord le désir. » Cette autre phrase du philosophe, compagnon nocturne, chantait en moi à chacun de mes pas. Nul doute qu’elle avait encore besoin de réflexion, de maturation mais j’en mesurais déjà son étendue lorsque je grimpais dans ma voiture. Heureux !

 
 
 




 
 
Aux confins de l’intime
 
         Il y a bien longtemps qu’il ne peignait plus. Il jubilait sur toile. De peintre il était devenu “imaginateur” en quelque sorte.
         Une connexion étrange s’était installée entre ses différentes formes de pensée et ses doigts. L’outil n’était plus mû grâce aux commandes cognitives habituelles mais par des praxies nouvelles allant bien au-delà des notions de “conscient et de volontaire”. 
         Il aurait été bien entendu, un objet d’étude fort intéressant pour des chercheurs en neurosciences. D’autant, qu’une autre connexion s’était invitée à ce processus déjà complexe. En effet, son système de perception auditive s’était anormalement développée et tel un concept darwinien, s’était adaptée à l’environnement synaptique déjà fort singulier. En d’autres termes, les fréquences musicales étaient “captées” à une vitesse fulgurante et entraient dans son protocole praxique. Ses pensées profondes sublimées et potentialisées par la musique généraient des effets graphiques extra-ordinaires et “supérieurs”, pourrait-on dire !
         Dès qu’il s’installait face à son support, quel qu’il soit, les couleurs, les formes et les traits jaillissaient comme autant d’irruptions oniriques. La tectonique de ses pensées excitées par l’intrusion des signaux musicaux produisait tant de remaniements et de bouleversements intellectuels que ses bras semblaient diriger une étourdissante symphonie.   Tout, cependant, obéissait à une cohérence cinétique sans qu’aucun geste parasite ne vienne perturber ce bel ensemble. 
         Et l’œuvre naissait, les volutes irisées poignaient, les rivières de jus carminés sourdaient, les matières quasi sculptées s’ébauchaient et les pépites de teintes fusionnées perlaient comme des gouttes d’humeurs. Et que dire du concert de bruissements des pinceaux sur la toile, des spatules étalant pâtes et médiums, des mains nues glissant sur les reliefs ainsi formés et enfin, des flonflons des chiffons venant çà et là corriger, nuancer, atténuer.
         Il ne peignait pas, il composait. Tel un perfectionniste Ravel usant “des jeux les plus subtils de l’intelligence” et exprimant les “épanchements les plus secrets du cœur” il écrivait sur sa toile la partition merveilleuse de ses amours profondes, secrètes et la transcription fulminante de ses émotions synchroniques. 
         Il ne peignait plus, il disait. Que nos mots semblaient vides, nos langues mortes et nos académies insuffisantes face ses dires picturaux. Ô bien sûr, l’écoute de ses toiles, la lecture de ses arabesques et la contemplation de ses fulgurances réclamaient à la fois patience, temps et concentration. Un intime regard posé et déjà, il nous obligeait à l’introspection aux limites de la douleur et aux frontières de la folie.  Nul ne pouvait se targuer d’indifférence à moins d’invoquer tout ce qui pouvait s’apparenter à de la fuite ou à une panique intérieure comme celle ressentie devant l’attraction irrémédiable de l’abîme.
         Pour qui n’avait jamais ressenti ces interactions entre stimuli confinant à une sorte d’orgasme intellectuel il était bien difficile de comprendre la transe de cet homme. Ma curiosité et mon désir incommensurable de pénétrer la genèse de l’œuvre m’avaient naturellement amené à interroger l’attitude philosophique et intuitive de cet artiste cherchant l’intime entre la pensée et l’acte. L’ensemble de mon potentiel énergétique se mobilisait éperdument, au-delà du raisonnable, dans un processus empathique à l’égard de ce créateur. 
         Pendant cette observation quasi mystique, je pensais cependant à Paul Ricœur affirmant que “Loin d’épuiser le problème de la connaissance sensible, une exploration des modalités actives et passives de la perception ne permet même pas de le poser correctement”. A l’évidence, je me satisfaisais du peu que l’objet de ma passion me livrait insidieusement et de l’amitié qu’il m’accordait. Je découvrais là, sans nul doute, les ressorts de ma propre créativité. 
         Il y bien longtemps qu’il ne peignait plus. Qu’il ne peint plus…
         Hélas.
 
 
 
 
Prélude
Ils étaient trois dans une autre dimension ;
Trois atomes épris de particules essentielles,
Et de géométrie que nul n’avait encore professée.
Ils étaient étonnamment libres dans leur champ
De fleurs imaginaires et enchainées.
 
Le premier devait s’appeler…Désir
Et aimait à se laisser porter par un souffle d’avant
Errant ainsi de peaux affamées en frissons retenus.
Primal, il vagissait le beau en doucereux contre-ut
Consacrant secrètement une indicible douleur.
 
Sonne non loin de là, une corde tendue et tempérée ;
Elle s’aventure de pleines rondes en croches étiques
Arpégeant ainsi de brulantes caresses sur un dos majeur
Telle une primitive gamme projetant sa fugue
Sur l’écran d’une langoureuse nuit d’ébène.
 
Enfin, ivre de mélodies dans son costume noir
Le troisième s’en allait titubant vers l’impossible
Tenant contre son ventre un antique violoncelle nu
Mais encore chaud de leurs lascifs et vibrants ébats
Que l’aube nouvelle ne parvenait pas à refroidir.
 
C’est ainsi qu’un hasard pour le moins socratique
Signifiant le cosmos pythagoricien bien entendu,
Unit divinement ces composites et uniques particules
En un entrelacs irisé de notes folles et vierges
Formant, à leur façon, un merveilleux prélude.
 
 
 
 
 
 
Ainsi parlent les poètes…
 
« Sur le soupir de l’amie, toute la nuit se soulève… »
 
Ainsi parlait Rainer Maria Rilke, pensant
Solitaire rêveur, à l’amour finissant.
Je cueille ce doux soupir posé sur sa nuit
Et le couche là, entre mes vers d’aujourd’hui.
 
« Donne-moi tes mains que mon cœur s’y forme… »
 
Ainsi parlait joliment Louis Aragon
Faisant des mains d’Elsa un suave parangon.
Comme j’aimerai tant t’offrir ouvertes les miennes
Qui de ton cœur, seraient à jamais les gardiennes.
 
« Et pour finir, je dirai le baiser de ta lèvre rouge… »
 
Ainsi parlait bohème, parnassien Verlaine
Dans une sérénade ou autre cantilène
Dédiée magnifiquement à la chair bénie
De l’aimée, fantasmant mes longues insomnies.
 
 « À mon cœur suffit ta poitrine, mes ailes pour ta liberté. »
 
Ainsi parlait si fort, Don Pablo Neruda
Chant désespéré ou complainte du soldat ;
Larmes noires du poète qu’on assassine
Quand l’amour se meurt et la haine s’enracine.
 
« Poète, je nuage tes mots et dessine mon ciel »
Ainsi parlais-je en voletant de rêves en rêves.
 
Mai 2014
 
Rilke (Sur le soupir de l’amie)
Verlaine (Sérénade)
Neruda (Pour que tu m’entendes)
Aragon (Les mains d’Elsa)
 
« Je fais de tous ces mots un collier infini
Pour ta main blanche et douce ainsi que les raisins. »
 
 
Allégorie.
 
Dire,
Mon empressé désir à lentement construire
Châteaux de quartes cœurs aux cent quatrains vainqueurs
Mordorant en maints chœurs, strophes et vers moqueurs.
Vous dire.
 
Se dire,
Mots cordes de lyres, joués pour vous séduire
Madame parlure, chanteuse à fière allure.
Que d’amour je jure, délicieuse brulure !
S’entre-dire.
 
Clamer,
Tirades enflammées et répliques grimées.
Molière, Hugo ou autre hidalgo
         En orgue et larigots pour princes et mendigots
Déclamer.
 
Suivre,
Ces lignes de livre bordé d’un Rimbaud ivre
D’un Apollinaire, d’Orphée au bestiaire.
Et coule galère en mal de fleurs Baudelaire
Poursuivre.
 
Jouir,
De ma langue et mourir en laissant s’épanouir
Intimement Chloris au printemps d’Adonis
Et que soupirent lys, en mon jardin délice.
Réjouir
 
Je vous aime tant,
Doux mots, vers et phrases, nus ou avec emphase ;
Bercez-moi encore, peignez âmes et corps
De vos bleutés accords, de vos ocres décors.
Aimez-moi longtemps.
 
Blanche
 
Blanche ! Elle est tellement blanche…
Assis devant elle, je la regarde, que dis-je, je la contemple ! Mon regard la pénètre comme un scalpel jusqu’à deviner son intérieur, sa majuscule intimité. Mes yeux, oui, mes yeux vont de droite à gauche, de haut en bas, cherchent, trouvent, cherchent à nouveau…Ce long examen de son corps, de sa surface de peau est une caresse préliminaire, un prélude à l’extase, un avant gout du plaisir final.
Je me demande souvent si cette attente ne lui est pas douloureuse, un peu pénible! Chacune de ses fibres semble m’inviter à plus d’initiative. Elle est apprêtée, enduite avec amour afin que chacun de mes contacts, de mes effleurements soient doux, faciles et fluides. Je sens bien qu’elle n’a pas envie qu’un de mes gestes soit contrarié par une quelconque anfractuosité ou par une excroissance rebelle. Elle est tendue à souhait, ni trop ni pas assez, comme cet arc paré pour la libération de sa force. Tendue et en même temps lascive ce qui fait de son état, à mes yeux, une provocation indicible.
De cette intimité mutuelle nait progressivement, lentement, une merveille, un fruit spirituel, un cadeau infini : l’inspiration. Je sais maintenant comment je vais m’y prendre pour la rendre belle, pour la rendre heureuse et pour lui offrir la jouissance. J’ai compris, j’ai vu le carrefour de nos désirs respectifs. Sa peau m’a conquis.
Dans un ultime instant d’attente devenue insupportable, je me lève, m’éloigne un peu et je me sens envahi de cette énergie étrange qui va cependant guider mes mains, mon corps dans ce doux combat amoureux.
Je me pare à mon tour sans la quitter des yeux, je me sens au bord de la pulsion, je me retiens de me jeter sur elle sans plus de détours…
Une forme de sagesse m’envahie cependant.
Mes toiles blanches le savent. Elles connaissent maintenant mes rituels…Elles aiment ces préliminaires.
 
 
 
Odonyme
 
Je ne sais pas vous, mais moi, je suis très attentif au nom des rues et des routes ! Je les guette, les surveille, les scrute, les cherche… Caprice, TOC, fantasme ?
En réalité, je suis surtout intéressé par…un seul nom ! Rue du Château. Oui, j’en conviens, c’est totalement déroutant de futilité frisant sans doute le ridicule. Mais c’est ainsi. Cela peut sembler désobligeant pour les autres rues même les plus prestigieuses telles rue de Paris, rue Picasso, rue Montaigne et j’en passe ! Ridicule bien sûr car ce n’est probablement pas le patronyme de l’artère urbaine ou villageoise qui rend la vie plus agréable pour l’habitant. Quoique ! Il y a quelque chose de prestigieux tout de même à lier son adresse à une célébrité ! Surtout si elle fait partie de notre champ culturel. Paradoxalement, il semble possible aussi d’habiter une rue sans connaitre ni le personnage qui lui n’est dédiée ni peut être même, la signification de cette nomination. Je suis conscient également du rapport entre l’avenue Charles de Gaulle et le prix de l’immobilier…Mais là, n’est pas mon propos.
Mon rêve est naturellement d’être riverain de la Rue du Château, un jour. Alors, je cherche. Inutile de vous dire que tout village ou toute ville dépourvus de ces voies, ne m’intéressent pas. Cependant, en lien avec l’histoire et la construction de chaque pays, nos paysages sont parsemés de ces vestiges médiévaux, de la Renaissance ou des siècles derniers. Et si, les notables des lieux et plus récemment les Conseils Municipaux[1]ont été respectueux de l’histoire, ils ont de toute évidence baptisé le chemin qui conduit aux vieilles et nobles pierres « Rue du Château ». Vous remarquerez que pour moi, ce patronyme est élevé au rang des majuscules ! C’est une condition sine qua none. 
Peu m’importe que la demeure qui me sied soit confortable, chaude ou froide, neuve ou vieille, je désire simplement qu’elle soit sise « Rue du château ».  Je veux avoir le plaisir de décliner mes coordonnées avec cette sublime adresse, à qui me fait l’honneur de me les quémander. Je veux avoir le bonheur de lire sur la lettre que me porte le facteur, cette majestueuse formulation. Attention, le moindre manquement à la bonne rédaction et surtout aux majuscules influera mon désir d’ouvrir la missive. Tant pis pour les goujats et autres irrespectueux des bonnes manières épistolaires. Je veux rosir de bonheur quand, vous me susurrerez discrètement « Pouvez-vous me communiquer votre adresse ? »
D’où me vient cette fantaisie ? Les rêveurs ont cette capacité élégante à se transposer dans des mondes « parallèles » et à finir pas croire en leurs songes. Alors, je veux…
Je veux la nuit, m’inventer ce bruit de galop pressé du maître des lieux revenant de je ne sais quelle aventure guerrière ou galante. Je veux en ce dimanche matin, entendre descendre la rue pavée, chevaux et coches dans un doux fracas. Je veux y voir le signe d’un doux printemps conduisant le « beau linge » vers les rives de la rivière locale. Je veux imaginer badauds et curieux poussant la promenade jusqu’aux grilles majestueuses de la demeure ancestrale dans l’espoir d’y surprendre un bout de vie des hôtes mystérieux.
 Je veux enfin et surtout, rêver à la châtelaine, un jour improbable, passant à pied devant ma fenêtre et s’arrêtant me dire une ode anacréontique. Je veux…
Même les rêves ont leurs limites, tout de même ! Ne croyez aucunement en une quelconque nostalgie d’un temps révolu où les aristocrates régnaient ni en un désir refoulé d’une classe sociale supérieure. Non, rien de tout cela. Simplement, outre l’histoire, j’ai besoin de m’immiscer dans la pensée des vieilles pierres, de toucher du bout de mes couleurs ce qui a pu inspirer les artistes d’antan, de sentir le parfum des rimes des troubadours et d’entendre comment les oiseaux ont transmis leurs répertoires.
Comme en amour, cette attente m’est en tout point agréable et je ne suis pas loin de penser que je repousse sans cesse le moment de « trouver » véritablement la rue idéale.  Peut-être même que le rêve mourrait à la moindre réalité comme ce réveil brutal qui « tue » la si belle aventure onirique et nocturne ?
Caprice, fantasme, trouble obsessionnel ? Juste un hommage à ce bel odonyme[2]« Rue du Château ».
[1] En France, les noms de rues (appelé aussi odonyme ou hodonyme) datent du Moyen Âge. Le nom des rues était alors attribué en fonction de la situation de la rue ou du lieu qu’elle desservait (rue des abattoirs, place du marché, route des pins). Au XVII, la dénomination fonctionnelle change pour des noms de personnages politiques, artistes ou notables (rue Molière, place Colbert). A la révolution, ces noms célèbres laissent place à des valeurs du moment (rue de la Liberté, place de l’Egalité, route de la Nation). Sous l’empire, les grandes batailles donnent des idées et c’est à ce moment que l’on voit apparaître des odonymes rappelant les grandes victoires de l’empereur ou des personnages militaires (Place d’Austerlitz, rue Masséna). De nos jours, les noms de rues n’ont plus de nomenclature précise et un mélange de toutes les tendances historique se retrouve dans les noms de rues d’une ville (place de la fontaine, Avenue de Wagram, Passage des alouettes, Avenue de la libération, etc…). http://www.culture-generale.fr/histoire/31-histoire-des-noms-de-rues
 
2 Odonyme. C’est un nom propre désignant une voie de communication (rue, route, place, etc.). Il est formé de deux parties : un terme générique, indiquant le type de voie, et un terme spécifique, désignant la voie. Si la langue le permet, les deux parties peuvent être reliées par une préposition. Parmi les odonymes célèbres, on compte la place Saint-Marc à Venise ou l’avenue des Champs-Élysées à Paris. En 2009, les trois odonymes les plus courants en France sont la rue de l’Église (7 965 occurrences), la place de l’Église (5 755) et la Grande Rue (3 943). La place de la Mairie arrive en 5 e position, suivie de la rue du Château, celle des Écoles et celle de la Gare. La rue Pasteur, en 13 e position, est la première à célébrer un homme. Victor-Hugo, en 15 e position, obtient ainsi 2 e place des célébrités. http://www.ouest-france.fr/actu/actuLocale_-Mot-du-jour-odonyme-ou-hodonyme-_35281-avd-20121203-64121379_actuLocale.Html
 
 
Distance
 
Je l’aime bien…elle !
Elle est ma compagne, mon guide et surtout ma protectrice. Jamais exubérante ni ostentatoire, elle se fait utile quand il le faut. Elle a cette qualité extraordinaire que j’ai du mal à mettre en musique : l’adaptation.
Bien-sûr, elle a ses marottes. Cette tendance au rapprochement instantané. Au début ! Cela me réjoui généralement et satisfait mon coté « aventurier ». Sans elle, je serai spontanément impétueux et imprudent. Alors, nous avons ensemble des fulgurances, des envolées, des éclairs. Au début !
Puis, sentant mes penchants naturels ainsi imprudents, elle me rappelle discrètement à la raison. « Ne t’emballe pas, beau parleur et charmeur invétéré » me glisse t-elle dans le creux de mon désir ! Alors, je me laisse porter par sa rigueur. Certes, mon interlocuteur du moment se trouve t-il quelque peu troublé et indécis face à ces trilles de bémols glissant sur notre portée commune. Mais finalement, la partition ne s’en porte que mieux. Enfin, vu de ma clé de sol !
Elle repère excellemment les importuns et les imposteurs. Et là ! Je ne vous conte pas ses appels à la prudence et à l’attention. Dès lors, je m’immisce dans sa jolie peau et m’éloigne soit subrepticement soit instantanément et offre un sublime silence aux fâcheux. Point d’agressivité ni de tapage. Juste ce petit message en forme de rectangle magique.
Mais, ce que je préfère c’est quand elle se fait petite, minuscule voire inexistante. Les moments où elle s’efface sont ceux de l’amour et du corps à corps symphonique. Je la sais néanmoins présente mais totalement confiante. Et son regard impudent ne me gène point. Est-ce perceptible par mon alter ego en ces instants lyriques ?
Que serai-je sans elle ? Souvent, je m’interroge. Elle a bien essayé de s’affubler de noms bizarres, allant de l’intime à la timidité en passant par la froideur. Mais ça ne lui va guère et moi, j’aime bien son petit nom : distance. Tel un archet obéissant à l’attente des cordes, je la fait chef de mon orchestre relationnel. Nous jouons ensemble notre « commedia dell’arte » depuis si longtemps…Souvent pour le meilleur !
 
 
Egalité d’intelligence.
 
Ce vingt et unième siècle est né sur un leitmotiv très prégnant : l’égalité ! Vieux combat que celui de l’Homme à être l’égal de son semblable, depuis tout temps. Le constat peut être fait aisément que ce combat n’est pas gagné tant ce me même Homoaequalis trouve ou met en place un grand nombre d’obstacles.
Une belle idée néanmoins fait son petit bonhomme de chemin ! Celle de l’intelligence collective, partagée et mieux encore sur le plan sémantique « l’égalité d’intelligence » ! Je ne pouvais pas rester muet devant un tel concept.
Oh ! Ayant lu de nombreux articles très renseignés, très érudits dans tous les champs des sciences humaines, je tiens cependant à limiter mon propos ici à de simples considérations. A chacun d’aller plus loin ensuite, si le besoin s’en fait sentir….
Je commencerai avec Albert Jacquard, ce brillant scientifique, philosophe et surtout humaniste pédagogue. Cet homme est l’exemple vivant de celui qui possède un grand savoir et qui s’évertue à vouloir non seulement le partager mais plus encore : à le faire comprendre. Car tout est là dans le processus égalitaire : tout mettre en œuvre pour que l’apprenant, l’élève, l’auditeur puisse se servir de ses nouvelles compétences. Pour lui « être intelligent c’est être curieux, actif et surtout comprendre ».
« L’intelligence n’est pas quelque chose que l’on reçoit mais quelque chose que l’on construit » dit encore Albert Jacquard. Et nous pouvons construire notre intelligence que si celui qui propose ses connaissances veille à ce que nous puissions les utiliser. De toute évidence, la pédagogie s’impose ici. Pas celle qui consiste à passer un savoir mais bien celle qui va permettre l’action, l’expérimentation et la validation.
« Savoir, c’est pouvoir » Francis Bacon
Se pose ici, la représentation du pouvoir lié à la connaissance. Suis-je dans une dynamique de conservation de ce sacrosaint pouvoir ? Ou suis-je dans une volonté de rendre l’autre autonome ? Au fond, c’est toute la mission du professeur que de rendre son élève autonome ; celle des parents que de permettre à leur enfant de se débrouiller seul dans sa vie et enfin, pour faire court, celle du soignant que de permettre à son patient de vivre de façon autonome avec sa maladie (diabète, appareillé, stomisé etc.)
Un sage a dit : « Si je vous donne un œuf, vous aurez cet œuf mais moi je ne l’aurai plus. Si je vous donne une idée nous aurons tous les deux cette idée et fort de ce partage nous pourrons mieux nous comprendre… »
En quoi suis-je perdant si mon savoir est incorporé, intégré par mon semblable ? Nous sommes désormais deux à en bénéficier et je reste néanmoins celui qui a permis l’autonomie. J’en suis reconnu et remercié : voilà ou se trouve mon nouveau pouvoir ! C’est une stratégie win-win ou gagnant-gagnant si galvaudée.
Pour être tout à fait complet, je dois dire mon admiration pour les infirmiers(es) experts en éducation thérapeutique qui manient, simplement, en toute humilité ce merveilleux concept dans leurs soins. Avec le corps médical qui a bien compris l’intérêt en termes de santé publique, ils ne craignent pas de perdre je ne sais quel pouvoir sur leurs patients et surtout ne se cachent plus derrière un verbiage abscons laissant « l’autre » …interdit !
Ils ont fait le pari de l’égalité d’intelligence avec leur public ! Et tout le monde y gagne.
« Je préfère me débarrasser des faux enchantements pour pouvoir m’émerveiller des vrais miracles. » Pierre Bourdieu
 
 
Elle ne me lâche pas…
 
Je veux parler de mon imagination ! Au début, quand j’étais enfant, je veux dire, elle était ma sœur. Enfin, la vraie, celle avec qui je pouvais discuter, celle avec qui je pouvais jouer. Quand je lui parlais, elle me répondait, systématiquement. O pas toujours aimablement ! Mais comme une sœur parle à son petit frère, avec des mots, des réponses, des répliques. Nous avancions ensemble et elle me permettait de ne pas être seul à décider. Je lui demandais toujours son avis.
Un jour, par un après-midi d’été pluvieux, de ceux qui vous collent un vêtement d’ennui sur le dos et qui vous rendent mélancolique, je cherche « quelque chose à faire » … ! Mon regard se porte soudain sur une buche de bois, courte, droite et d’un bon diamètre. Je questionne instantanément ma compagne. Elle me dit :
–       « Tu pourrais bien en faire une sculpture de ce machin… »
Dans un premier temps je ne réponds pas, bloquant quelque peu sur le terme « sculpture ». Mais finalement elle a mis un vers dans mon fruit cérébral. Je vais sculpter ce bout de bois. Je réuni rapidement divers outils pouvant servir à cureter, à couper, à poncer cette future « œuvre d’art. » Elle me guide, me force à réfléchir, à reculer, à penser et naturellement, elle fait apparaitre en moi, l’image d’un visage, d’une tête plus exactement. Plusieurs heures plus tard, trône sur l’établi de mon père une statue de bois, lisse, expressive et fine. Elle et moi, sommes très satisfaits du résultat. J’ai toujours gardé cette figure initiatique.
Par la suite, au cours de ma vie d’adolescent, d’adulte elle m’a constamment proposé « des choses » à faire. Ainsi, avec elle j’ai osé dessiner, peindre, écrire, parler, discourir, animer, enseigner bref, toutes ces activités où il faut être créatif. Elle est fidèle et toujours prête. Enfin presque toujours !
Il m’arrive de m’installer simplement devant une feuille blanche, une toile blanche, mon ordinateur et lui dire gentiment : « j’attends » ! Puis, rien ! … Elle ne répond pas ! Alors, comme dans un vieux couple, je lui demande : « qu’est ce qui se passe, tu boudes ? » Pensant l’avoir froissé par maladresse lors d’un texte où je me suis aventuré un peu seul, lors d’un dessin insipide, lors d’une réflexion totalement stéréotypée, je lui fais quelques marchandages en guise d’excuses… « Passe-moi une petite étincelle, juste pour démarrer, après je ne t’embête plus, promis ! »
Comme d’habitude, car elle connait par cœur mes viles promesses, elle ne dit rien pour ne pas envenimer le dialogue mais je sais que dans les minutes qui vont suivre, ma main, mes doigts vont s’animer. Et une histoire va démarrer…
Elle ne me lâche pas et j’en suis étonné !
Je n’ose pas lui dire en face, par orgueil, mais sans elle…je ne serai pas grand-chose ! Chut…Et j’en serai réduit à fouiller dans le réel mes sources d’inspiration ! Mais je me demande quand même, à l’instant, là, si elle…elle ne puise pas dans « mes affaires » pour me sortir des idées aussi délirantes !
Ne me lâche pas…
 
 
Au pays de tes pas.
 
Je suis là ! Et je te regarde…
J’aurai pu passer sans te voir vraiment, laissant dériver mon regard, un tantinet distrait, avec cette fausse réserve, cette fausse distance qui me retient de jeter mon dévolu sur la première venue. J’aurai pu, bien sûr, faire semblant ou pire encore, te prêter une attention polie eu égard au simple fait que tu sois en ce lieu en lui-même, flatteur.
Mais je t’ai vu et je me suis arrêté. Tout mouvement est devenu spontanément accessoire sauf ceux de mes yeux, mus par autant de désirs pourtant invisibles de l’extérieur. Une folle agitation mentale m’occupe et me fige. Un mélange de perturbation et d’une étrange sérénité tente de se constituer dans une volonté syncrétique. J’ai déjà naturellement ressenti cet état insolite de nombreuses fois sans pouvoir le mettre en mots à la hauteur de ce qu’il génère en moi.
Je sais toutefois combien ce plaisir intense me livre à la joie, une joie simple sans exubérance ni manifestation ostensible. Une satisfaction intérieure. Celle du confort. Oui, te regarder m’emplit d’aise, mieux, d’aisance. Je ne souffre d’aucune gêne en te dévisageant, en te parcourant, en te déshabillant. Car il s’agit bien de sensualité. Chaque seconde m’est agréable au point que je peux accepter que quelque chose vienne troubler mon agrément mental.
Mon regard est maintenant installé en toi. Je suis ataraxique. J’accompagne les moindres courbes de ton corps sans but précis, ou plutôt celui d’emprunter tes pas. Je veux dire, aller là où tu as hésité, là où tu as décidé ou renoncé. J’avance un peu puis recule d’autant. D’un chemin précis, j’entrevois maintenant ta démarche globale. Je croyais savoir puis me voilà à nouveau perdu. Mais je suis bien, confortablement établi dans tes mystères. Ce va-et-vient plus ou moins lent, plus ou moins profond confine à l’acmé tant recherché dans pareille situation. Ce moment de grâce fini toujours par arriver, comme une suspension du temps, une ultime contraction paroxystique.
La question de cette forme de béatitude m’a longtemps taraudé. Elle ne trouve réponse que dans la notion d’équilibre. Quelle que soient tes formes ou ton style ce qui me rassérène et me séduit, c’est justement l’impression que tout en toi se connecte harmonieusement. Oui, voilà, l’harmonie, c’est bien cela. Ta violence voire ta fureur se trouve ainsi magnifiée par les milliers de cohérences qui s’assemblent. Ton message prend donc toute sa force au travers de ces longues traces corporelles, de ces érections jaillissantes et de ces noires expressions qui parfois strient ta peau.
Tu me fais penser à cette danseuse reposant si souvent sur ses minuscules pointes dans une évanescente beauté, juste accrochée à quelques notes de musique. Elle seule, sait combien la douleur et l’effort intense font figure de magnificence aux yeux des spectateurs interdits. L’équilibre encore semble être le secret de la séduction.
Il n’est plus de regard innocent, désormais. Je réalise en premier lieu que si je me suis arrêté pour t’admirer c’est juste parce que tu as capté mon désir, mon besoin là, ou bien d’autres, peut-être plus rayonnantes, plus aguichantes n’ont qu’à peine effleuré ma rétine. Tu m’as invité par tes harmonieuses structures à entrer dans ton univers. Et celui de ton créateur. C’est bien pour ces émotions là que j’aime parcourir les expositions jusqu’à ce délicieux instant de la rencontre désirée avec une œuvre.
Je suis encore là ! Et je te regarde encore, encore…

 
 
L’escalier sans fin
 
 
Il y a déjà des heures et des heures que je monte cet escalier…Je pense qu’il est sans fin.
Pour tout dire, je n’ai désormais aucune illusion : il ne s’arrêtera plus.
Où peut conduire un escalier sans fin ? Existe-t-il des lieux interminables ? Autant de questions qui me viennent car je dois me préparer à cette absence de finitude. Cependant, je suis fatigué, pratiquement épuisé. Toutes ces marches, identiques, les unes après les autres dans une régularité jamais prise en défaut. Seuls les paliers, les virages tentent en vain de briser ce rythme indéfectible.
Au début, je prêtais naturellement attention aux paysages et je ne manquais pas d’admirer, à juste titre, leurs diversités. Maintenant, je ne les vois plus. Disons qu’ils me sont devenus indifférents. Que m’importent ces décors insignifiants puisqu’ils accompagnent passivement mon périple. D’ailleurs, existent-ils encore ? Se confondent peut-être dans mon regard, brumes blanchâtres, éthérées et hallucinants vertiges. Tout mon être n’est plus qu’une douleur intense qui prend conscience de son omniprésence. L’ensemble de mes muscles est totalement tétanisé et voué définitivement à fournir cet effort démesuré.
Il y a au moins six heures, j’ai bien pensé faire demi-tour. Mais alors pourquoi aurais-je fait tout cela pour rien ? Je n’aime pas renoncer. En fait, sur le moment, j’ai été obsédé par la peur de l’inutile ; ma fierté et mon orgueil m’ont empêché de ruiner mon désir primal. Je regrette néanmoins de m’être laissé abuser par de tels sentiments ! Je n’ai plus ce choix désormais et je ne peux que me diriger vers la seule direction possible. Le haut.
Sisyphe et son rocher s’immiscent progressivement dans mon esprit de plus en plus égaré. A quels dieux ai-je donc déplu, moi qui ne croit en aucun ? O, je pourrais m’arrêter là, m’asseoir sur cette marche anonyme et attendre. Attendre quoi, qui ? Rien ni personne ne soupçonne plus une once de mon existence ainsi perchée sur un zénith inconnu. L’espoir, n’est-il pas une fuite devant un réel insatisfaisant, inacceptable ? Je ne veux pas dépendre d’augures incertains, en aucun cas. Je préfère ma dure réalité à tout mirage, fut-il culminant. Alors, je poursuis mon ascension.
Je me surprends pourtant à rêver d’un destin à la Zarathoustra, si je puis dire. Reviendrais-je parmi les hommes partager ma sagesse ? Une telle épreuve ne peut que participer d’une déconstruction de ce que je suis pour mieux donner vie un être sage. Enfin, c’est ce que je me dis dans mon quasi coma existentiel de l’instant ! Je ne suis plus qu’une pensée simplifiée, épurée se résumant à gravir ce que je ne sens plus comme un escalier mais plutôt comme un construit gigantesque résultant d’un chaos originel. Mais je dois délirer, sans doute, manquant de ce que je crois être de l’oxygène et qui n’est peut-être que de la lucidité. En raison de cette altitude insoupçonnable.
Finalement, il y a quelque chose de rassurant à ne déceler aucun horizon, paradoxalement. La vue d’un terme maintenant, me déstabiliserait et même, m’effraierait. Je marche, j’avance donc. Cette nouvelle perspective me tonifie perceptiblement et une forme de confiance revient. Je me mets à croire à une possible joie dans mon parcours. Comme une deuxième naissance. Cet escalier prend figure pour moi de la cuisse de Zeus d’où s’extrait lentement un Dionysos renaissant. Les forces ne me désertant plus, ma progression se fait plus régulière et même la douleur me parait moindre. Peut-être est-ce la mort qui me gagne ? C’est la première fois que cette idée me vient et je la laisse passer, sagement.
Je gravis maintenant sereinement mon escalier sans fin, laissant derrière chacun de mes pas une trace d’expérience. Enfin, je suppose car je ne me retourne plus. Seul me grise le nouveau pas que j’entreprends. Et curieusement, je me sens libre…
 
 
 
Fusion amoureuse
 
Je dormais comme chaque nuit dans mes draps de velours rouge, mon corps épousant fidèlement les courbes façonnées par le temps. Le noir complet est mon indispensable compagnon pour ce repos lascif. Les nuits sont ainsi calmes et les bruits me parviennent à peine, étouffés, cotonneux…
J’en suis là ce matin, comme évanoui dans mes pensées ; je me souviens avec plaisir de cet air si beau, si sensuel dans ses tons graves que j’en suis tout émoustillé !  Cette musique envoutante, jouée tant de fois a comme laissé son empreinte sur mon corps, sur mes creux, sur ma peau dorée et sur ouïes souriantes. Je ne peux me défaire du souvenir de ce doux contact avec ma musicienne, lové contre elle, entre ses mains caressantes. J’en sens encore la chaleur, je respire encore son souffle rythmé par le prélude magique.
Quelle belle soirée ce fut ! J’aime tant ces instants où chacun appréhende l’autre au travers de ces hésitations parfois maladroites ! Quand la réponse à la caresse va au-delà de l’espérance ou bien quand elle n’atteint pas son but. Tout n’est que surprise, langueur et patience. Que je suis heureux quand enfin ma partenaire exulte et se répand en tendres satisfactions ! Alors elle me sépare doucement de son corps et le repos du bonheur règne dans l’air.
Oh ! Il y a bien des moments d’incompréhension, de dispute parfois même de quasi violence mais toujours, toujours la complicité vainc et nos corps se rejoignent.
J’en suis là de mes rêveries quand j’entends à peine ses pas et le bruit de la serrure qui claque. Doucement un rai de lumière envahie ma couche et la lumière s’étale sur mon corps reposé. Je sens sa main me saisir et je sais combien le plaisir est lent mais proche.
Elle m’entoure, me câline, me réchauffe. Elle m’accorde, s’accorde et me ressent. Elle fait glisser soudain, son baiser sur ma corde tendue. Raisonne en moi alors, les pensées de Bach, comme un doux murmure. Jusqu’à l’infini….
Le prélude commence, recommence et nos corps fusionnent d’amour. Indicible. Incommensurable.
Comme j’aurais aimé être à la place de ce violoncelle…
 
 
 
La caresse
 
Elle est celle du premier rayon de soleil
Sur mes émois printaniers endormis ;
Elle est celle du vif et turgescent bourgeon
Réveillant la branche du tendre arbrisseau.
 
La caresse.
Elle est celle de cette eau de vague, chaude,
Glissant et roulant sur mes frissons d’été ;
Elle est celle, de cette danse ondulante et lascive
D’un romantique violon dans le creux du cou.
 
La caresse.
Elle est celle de la feuille jaunie qui tombe de son arbre
Effleurant invariablement les années de ma vie ;
Elle est celle du picotement d’un désir encore fou
Sur le grain d’une peau emplie de doux souvenirs.
 
La caresse.
Elle est celle des arabesques dessinées sur mon visage
Par les flammes de l’âtre pleines de vives étincelles
Elle est celle de ces soirées joyeuses et musicales
Dans la chaleur et la moiteur de mon plaisir.
 
La caresse.
Elle est celle que je reçois humblement en toute saison
Par tes mots et tes phrases empreints d’une suave poésie
Elle est celle que mes mains osent, enfin, sur  ta peau
Douce d’attente et avide de voyages inédits.
 
La caresse.
Elle est celle de ma pudeur sur tes ardeurs,
Elle est celle de mon envie sur tes interdits,
Elle est celle de mes hasards sur tes coïncidences,
Elle est celle enfin, de mes mots sur les tiens.
 
 
 
La visite.
 
Sur le pas de sa porte, elle me fit un dernier signe de la main.
Son image s’estompa lentement dans mon rétroviseur mais mon regard ne pouvait s’en détacher. Une larme entreprit de rouler sur ma joue sans que je puisse dire si elle était de joie ou de mélancolie…Quand la brume de l’étang eut définitivement blanchi le minuscule miroir de mon véhicule, mes pensées revinrent à leur point de départ. Deux heures plutôt, en effet, je faisais le chemin inverse et franchissais timidement, respectueusement les larges grilles de la vieille bâtisse. Une folle et intime excitation me dominait alors…
Que s’était-il passé pendant cet arrêt du temps ? Un moment de grâce comme il est rare d’en vivre aussi intensément dans une vie. Mais peut etre est-il temps de reprendre cette aventure à son origine ?
Nous avions convenu par téléphone, d’un rendez-vous, chez elle. Un ami m’avait communiqué son numéro, ayant lui même vécu cette aventure. Une longue route fut nécessaire pendant laquelle, nerveux, je griffais mon impatience avec une pointe d’agacement comme celle titillant un prurit irrépressible. Chaque obstacle routier, chaque panneau m’invitant à ralentir me faisait l’effet d’un retardateur belliqueux que je me plaisais cependant, à vaincre comme Hercule face au lion de Némée.
J’avais pris ma décision il y a quelques jours après une longue réflexion et au prix de quelques sacrifices personnels et même familiaux. J’avais presque tout pensé, tout envisagé. Du moment de la rencontre aux échanges que j’imaginais déjà timides, hésitants et maladroits. N’ayant pour ainsi dire jamais connu de telle situation, du moins seul, j’étais finalement dans un exercice initiatique. Je me savais indécis par nature et là, j’anticipais mes difficultés à choisir doutant soudain de ma sensualité face aux merveilles qui m’attendaient.
Enfin je secouais le battant de la cloche aux faussures dorées qui pendait à l’entrée entourée de lierres bien curieux. Après une longue attente, elle m’ouvrit.
La vieille dame aux pas incertains me conduit dans un univers où, de suite, les fruits de mes impatiences m’envahirent le regard, l’esprit. Il y en avait partout, sur les murs, au sol, de toutes tailles et de toutes les couleurs. Mon cœur s’emballa, me laissant interdit, sans mot ni lucidité. La voix chevrotante de la vieille dame m’invita à m’asseoir.
Je venais d’entrer dans la maison de « Gabo », un artiste peintre qui m’a continûment fait rêver et qui a en quelque sorte donné du sens à mon propre parcours.  Chacune de ses œuvres me chavire, me bouleverse, me tempête, me cyclone littéralement. Gabo est mort au bout de son pinceau, accroché à la nature il y a maintenant sept ans. L’ayant rencontré lors d’expositions, nous avions partagé un peu de techniques et beaucoup d’affectif, il faut bien le dire ! C’était aussi un amoureux des belles lettres et de la poésie qui ont été le premier motif de notre rencontre. Mais, visiter son atelier, sans lui, était pour moi, entrer dans le cœur de ses tubes, dans la genèse de ses harmonies. Il m’avait tant conté la moindre des molécules de son inspiration puisée dans les fleurs de son jardin, dans chacun des lotus de son étang et dans les nombreux aromes de ce qu’il appelait « ses toiles brutes ». Il était bien là, présent par son absence, omniprésent devrais-je dire. Par ses toiles et par sa muse de toujours, gardienne désormais de son temple.
Et je venais précisément faire cet acte d’amour suprême qu’est l’acquisition d’une de ses œuvres.
La vieille dame dont les yeux brillaient de tendresse pour celui qui venait « reconnaitre » son peintre de mari disparu, m’offrit les douceurs de quelques souvenirs et de délicieuses confidences. Immobile sur ma chaise, je goutais intensément le plaisir d’être. D’être là. Majuscule et altier, le temps avait eu la délicatesse de s’arrêter. Mais le meilleur était à venir. « Suivez-moi » me dit-elle en prenant la direction de l’atelier. Mais je l’aurai suivi au bout de la galaxie !
De caresses en tendresses, de soupirs en arrêts respiratoires, j’errais entre les toiles de tout format comme un enfant dans un magasin de jouets. Sortant celle-ci de son antre, portant cet autre à la lumière, je succombais mille fois et me relevais toujours dans le suprême espoir de nouvelles défaillances. Chaque peinture me disait un bout de lui, de ce long moment d’amour qui la fit naitre dans ses mains, entre ses doigts et sous ses coups de pinceaux. Gabo se disait peintre-paysan tant son œuvre s’apparente à une récolte méticuleusement réfléchie. Peintre apparemment abstrait, il représente en réalité la moindre étamine et le plus subtil des lichens. On ne regarde pas ses toiles, on y pénètre par tous les pores. Il s’agit réellement d’un envoutement artistique.
Alors, choisir ! Telle fut ma douleur…
L’élue fut allongée au fond de mon coffre de voiture et déjà aimée comme cet enfant appelé « désir ». La vieille dame semblait heureuse pour moi ; cependant je ne pouvais m’empêcher de penser que je venais de lui enlever une partie d’elle-même. Alors, dans cet instant de doute peint de joie, de nostalgie, de merveilleux et de félicité je laissais la voiture avancer lentement vers les lourdes grilles.
Je remerciais la nature de ces lieux magiques de m’adresser le brouillard nécessaire à l’estompe de notre adieu. L’humidité de nos yeux faisant figure du dernier glacis de notre si belle rencontre.
Pourtant, chaque jour désormais, mes yeux seront heureux.
 
 
Le village des amants perdus
 
La nuit avait égaré son heure. La barque et sa passagère glissaient sans aucun bruit sur les reflets dorés de la rivière. Leurs silhouettes se découpaient nettement entre l’énorme pleine lune et la pénombre nocturne ; la femme au châle noir semblait pensive, la tête baissée et le corps inactif. Elles allaient, ensemble, vers un mystérieux village lacustre.
La Lune s’était considérablement rapprochée de la terre depuis quelques années et si elle s’effaçait quasi totalement la journée, elle imposait sa corpulence massive durant la nuit. Certains disaient qu’elle n’entendait plus laisser le soleil régner en maître sur « sa » planète. Bien sûr, elle avait besoin de l’astre pour éclairer mais ce n’était point là, sa seule mission. Ce rapprochement avait eu bien entendu des conséquences importantes sur les équilibres terrestres et de grands bouleversements s’étaient produits. Mais que dire des effets sur les humains ! Sur l’ensemble des être vivants, ils avaient été les plus perturbé. Animaux, végétaux mutaient, enfin s’adaptaient progressivement, discrètement, sans heurt perceptible. Les humains, eux, avaient semble t-il, régressé. Dans certains domaines.
La barque paraissait totalement autonome et nul système de propulsion ne se faisait ni voir, ni entendre. Elle connaissait visiblement le chemin, évitant soigneusement quelques souches flottantes ou bancs de sable émergeants. La femme au châle noire savait l’inéluctable de ce voyage.
Rien sur terre n’avait réellement changé au niveau de l’organisation générale. Les nouvelles influences lunaires avaient cependant révolutionné les…relations amoureuses. De façon considérable ! Après une forme de libération des mœurs lors des XXème et XXIème siècles, une tout autre discipline était désormais d’actualité, en matière de philosophie du couple. Il y a très longtemps déjà, dès les premières velléités lunaires, un Ordre était né sous le commandement et les principes d’un dénommé « Aristophane3013 ». Au cours d’un diner mondial il avait décrété que la colère de la « Maîtresse » allait s’exprimer si chacun ne revenait pas à une conduite amoureuse stricte. Désormais, il ne serait plus toléré qu’un seul amour par personne et par vie. Ce changement artificiel de paradigme, eut de très importantes conséquences sur les populations et chacun se mit en quête de son amour unique. Au commencement, était le chaos.
La dame au châle noir s’était perdue en amour. Dans l’incapacité totale de choisir son chemin, elle avait transgressé la loi. La sanction avait été terrible : l’exil. Au village des amants perdus. Mais la sévérité du châtiment lui paraissait maintenant presque douce tant elle se sentait inapte, inadaptée aux règles de l’Ordre. Le contrôle de la Lune sur son exil nocturne était néanmoins terriblement violent.
Elle le savait, elle allait être parmi d’autres exilés, d’autres « perdus en amour ». Ce que la Lune ignorait, c’est la capacité des humains à développer des stratégies de résistance. La dame au châle noir était déterminée à résister précisément, à ces lois, sources de son malheur et entendait bien constituer rapidement une cellule clandestine. Elle avait pour projet de créer un « jardin de liberté » où il serait possible, à l’insu de la nuit lunaire, d’aimer librement. Elle avait déjà choisi le nom de ce jardin merveilleux : Epicurie.
 
La dame au châle noir attendait l’aurore. En vain.
Point d’aurore donc point d’aube ni de jour ; le choc fût rude. La Lune occupait l’endroit à plein temps, sans partage. Ce village semblait ne plus tourner en même temps que le reste de la terre ! La nuit permanente dont la clarté livrée à la volonté du satellite omniprésent, omnipotent serait désormais le ciel de vie de la nouvelle exilée. Le village des amants perdus prenait des allures de caverne.
Elle pouvait vivre mais ne la savait pas encore !
Tout n’était que soumission dans les attitudes des villageois bannis. Tête basse et dos courbé sous le poids d’une sentence dont ils avaient complètement ingéré la dose de culpabilité distillée par l’Ordre immonde. Convaincus d’avoir commis la faute irréparable de « dispersion d’amour », ils erraient comme des forçats, enchainés ensemble à leur sombre destin. Ils ne voyaient plus que leurs ombres pitoyables se mouvoir mollement sur l’écran gris de leurs illusions. *
Ils voulaient vivre mais ne le savaient pas encore !
La femme au châle noir ne pouvait que constater l’abominable situation mais elle ne parvenait pas à accepter la pénombre. Elle se sentait habitée par une indicible indignation, par une intense révolte mais également elle se sentait investie d’une formidable mission. Contaminer chacun du virus de la Connaissance…Ces gens mouraient à petit feu lunaire de ne pas Savoir ! Aucun n’avait eu l’envie, l’impérieuse curiosité de s’extraire de son ignorance, de lever la tête, de regarder son autre et de ne plus courber le dos. Aucun n’avait pensé à transgresser…Ainsi, la femme laissa choir son châle noir.  Tous ses vêtements suivirent.
Elle allait jouir mais ne le savait pas encore.
Que pouvait la Lune contre le désir, contre la force de vie? Que pouvait l’Ordre contre la liberté du dénuement ? Quand l’Homme nu n’a plus rien, au fond de son exil ou de son cachot, il lui reste cette étrange et ultime sensation de vraie liberté. Et deux possibilités : remonter ou mourir. La solution était donc d’accepter le dénuement, de construire un monde d’essentiel et de tromper ainsi l’oppresseur.  Alors, plus de moitié à chercher, plus de Dieu, plus de soumission, plus de peur, plus de Bien ni de Mal. Juste la pensée et son cortège d’expressions.
La femme se consacrait désormais à cette noble tâche de faire tomber les vieilles fripes, de convaincre de la force de l’indigence et de guider ses compagnons d’exils vers leurs chemins ascendants. Bien sûr, il fallait du temps, de la patience. Il lui fallait parler. Elle devait considérer chacun dans sa différence et son originalité. Après tant d’années de manipulation, de conditionnement à des principes culpabilisants, il s’avérait bien difficile de s’ouvrir à la vision du réel et de quitter l’illusion d’un « soi » stéréotypé. Puis progressivement, celles et ceux qui choisissaient de vivre retrouvaient dans le regard des autres, d’énormes quantités d’attention et de bienveillance. Infiniment nus, débarrassés de leurs passés, ils partageaient d’intenses moments qu’ils n’appelaient plus Amour. Ils façonnaient ensemble leur jardin de liberté où chacun avait sa vraie place, reconnue, considérée.  Le langage n’était plus le même, il était autre. Il était neuf.
Ils s’aimaient plus qu’avant mais ne le savaient pas encore.
Epicurie était advenue. L’important était de parler avec ses sens, les vrais, garants de la connaissance de la réalité. L’essentiel était le nécessaire, seulement l’indispensable à une vie saine. Le but était l’équilibre. Rapidement, chacun des exilés avait joui de cet état qu’il n’avait jamais connu auparavant : l’ataraxie. Certains se sont même demandé si ça n’était pas le bonheur ! Ils avaient compris que la pleine conscience de cet état était, en fait, le plaisir suprême. *
Ils jouissaient et le savaient enfin.
La femme au châle noir qui avait embarqué il y a longtemps sur le bateau de la dépendance et de la punition, savait maintenant qu’elle ne reviendrait jamais au soleil. Elle avait appris à aimer la nuit et à en soutirer toute la lumière indispensable à son rayonnement philosophique. Son salut ne venait pas de l’ignorance de la Lune mais bien de la Connaissance des promeneurs d’Epicurie. Elle n’avait jamais autant aimé, « fait » l’amour avec autant de personnes désirées et désirantes. Sa vie n’était que jouissance, ô non pas celle du corps, uniquement, mais celle de son être intérieur. Profond.
La Lune si prompte jadis à organiser l’exil des égarés de l’amour se laissait aller à l’oubli. Finalement, quoi de mieux que l’indifférence pour ces êtres incapables « d’aimer » correctement suivant des règles précises d’un monde « propre » et sans licence. Elle ne voyait donc pas pousser sous ses reflets dorés, un jardin paisible où chaque fleur soufflait au vent complice, les pétales d’une nouvelle philosophie de vie. Le soleil n’allait pas tarder à s’en apercevoir…
Elle avait perdu mais ne le savait pas encore.
 
 
Au-dessus du Je-Nous
 
 
Cette histoire avait pourtant bien commencé.
Le couple se promène sereinement en voiture, toutes vitres ouvertes laissant ainsi l’air vivifiant pénétrer au plus profond de chacun. Il fait bon vivre l’instant, l’esprit apparemment libéré. Le silence s’est imposé entre eux comme une évidence, nul ne voulant perturber la quiétude de l’autre. Les paysages et les magnifiques villages successifs se suffisent à eux-mêmes laissant planer cependant cette doucereuse impression que rien ne peut venir altérer ce bucolisme. Une simple question va toutefois gripper la belle harmonie de façade.
« – On est bien, non ? dit Je 
– Ce « on » me semble bien indéfini répond Soi »
A ce stade de l’histoire, il nous faire connaissance avec les personnages. En effet Je cohabite avec Soi depuis qu’ils sont nés. C’est dire s’ils se connaissent ! Enfin, le pensent-ils jusqu’à cet instant anodin. Leur vie commune serait somme toute bien banale si d’aventure, nombre de gêneurs ne venaient pas troubler leur relation. Les linguistes en premier, qui prétextant leurs différences, souhaitent les assimiler à des jumeaux indifférenciés. Certains préconisent donc l’adjonction de « même » à Soi ; ainsi Je deviens plus proche de Soi-même. Il n’est nul besoin de préciser plus avant que l’armée des « psys » de toute confession, s’écharpent depuis leur naissance à ce sujet. Peut etre même que le mot « sujet » n’est pas approprié ici !
« – Tu préfères que je parle de « nous » mais, sommes-nous pluriels rétorque Je ?
– Tout de suite les grands mots, ironise Soi.
– D’autant que ça ne me parait pas si simple cette histoire de je-nous insiste Je
– Ah ! Et pourquoi ? questionne Soi
– Car j’ai un doute lâche Je, soudain grave.
-Explique-toi donc enfin réplique Soi un tantinet agacé. »
Il faut bien reconnaitre que les deux compères passent la plupart de leur temps à se chamailler, se questionner, s’introspecter ce qui avouons-le est plus facile que seul. Naturellement, cela engendre nombre de cogitations et de réparties mais globalement, nous pouvons dire qu’ils s’aiment bien. Attentif l’un à l’autre, Je prends soin de Soi et lui prête généralement sa confiance.
« – Qui suis-je est une question qui me tourmente commence Je. Pourtant ce doute me confirme que j’existe, je pense. Pour douter il faut être, n’est-ce pas ?
– Mais si tu le penses, donc tu es, mon pauvre ami insiste Soi
– Dans ton « donc » je trouve toute les raisons de mes doutes. Voilà ! rétorque Je.
L’échange est bien parti pour se prolonger mais survient le panneau d’un village portant un joli nom : « Ipséité. »
 « – Tu ne voulais pas t’arrêter visiter ce village ? interroge dubitatif Soi
– Si bien-sûr, le prochain également. Ces deux villages collés presque l’un à l’autre sont singuliers et représentent la particularité de la région explique Je.
– Ah ! Et comment s’appelle l’autre ? dit Soi
– « Altérité », je crois répond Je.
Effectivement, la jolie route de campagne traverse ces deux beaux sites qui après bien des luttes intestines sont devenus finalement très complémentaires. Chacun voulait aux temps anciens, exister par lui-même. Mais une logique humaniste finit par triompher pour le bien de chacun de leurs habitants. Quelle est donc cette raison qui a prévalue ? La prise de conscience d’être lui-même, devise de l’Ipséité s’est confronté à celle de l’Altérité « qualité de ce qui est autre ». L’ipséité a donc compris qu’elle ne pouvait exister sans l’autre et que précisément, sa propre existence passait par l’autre village. 
Je est sur le point d’expliquer tout cela à Soi quand celui-ci interrompe brutalement son intention :
« – Figure toi que moi aussi je me pose une question existentielle. 
– Bien ! Qu’elle est-elle ? dit Je, interloqué.
– Pour moi, tu es un autre. Un autre que je crois connaitre et qui peut être ne me connais pas. Ma question est pour toi, l’Autre : qui suis-je ? Comment me vois-tu ? Puis, c’est ici à mon tour d’être l’Autre. Car je suis un autre. Tu comprends Je ? poursuis Soi
– Oui, je te comprends. En fait, je ne suis moi que parce que je me distingue des autres, parce que mon histoire est différente de celle des autres.
– « Soi-même comme un autre » devise Soi, satisfait de son effet !
– Tu as raison Soi. Comme ces deux villages. Tu vois, « l’Ipséité du soi-même implique l’Altérité à un degré si intime que l’une ne se laisse pas penser sans l’autre, que l’une passe plutôt dans l’autre reprend Je en citant pour l’occasion une réflexion de Paul Ricœur.
– Hum ! Tu n’as pas l’impression que notre discussion devient un petit peu trop philosophique ? plaisante Soi en éclatant d’un rire sincère.
– Oui, répond Je en se joignant à l’hilarité de son compagnon, restons-en la !
La voiture poursuit ainsi sa route jusqu’à une intersection. Tournant à droite, le pilote, Je, s’exclame soudain à l’attention de Soi :
« – Tu as vu ? La route que nous prenons s’appelle « Reconnaissance ».
 
 
Pensées printanières.
 
 
Jaune !
La voilà bien fière, cette précoce !
Belles manières, habits de noces
Visage d’Or au sombre cœur !
Elle rayonne, ma pensée jaune !
Cœur.
 
Mauve !
Elle sort de sa longue nuit, de l’hiver
Avec vêtement de pluie, coutumière !
Mélancolie et peau de velours !
Elle caresse, ma pensée fauve.
Velours.
 
Blanche !
Se croit-elle immaculée, la sublime
Aux atours cristallins de rosée fine ?
Ethérée et virginale candeur !
Elle séduit, ma pensée blanche.
Candeur.
 
Folles !
Aux tout premiers rayons à peine ardents
De l’astre séducteur, juste ascendant
Elles s’animent mes pensées !
Et se dévoilent bien folles.
Pensées.
 
 
Je t’offre mes jours
 
Quel plus beau cadeau que celui de mes jours de vie !
Toi, l’ami, le collègue, le voisin, je t’offre mes jours. Non, tiens, je t’offre celui-ci, aujourd’hui. Ces milliers de minutes qui permettent cette majuscule symphonie en cellule-majeur, qui tissent la toile de mes pensées et qui zygomatisent mon sourire, je te les offre.
Pas n’importe comment, bien-sûr ! Dans un écrin de respect, de tolérance et de bienveillance. Ne pense pas, l’ami, que c’est une bagatelle, une parole dans le souffle d’Eole ou encore un sursaut d’aménité, non ! C’est un don philanthrope parce que je te veux heureux, au moins maintenant. Plaisir intense identique à celui que tu as ressenti quand ton enfant t’a récité son premier poème. Celui qui a mouillé tes yeux.
Mais que vas-tu en faire, l’ami ? Regarde ce cadeau attentivement, prends le dans ta main, fais en le tour de ton regard. Ne le pose que quand tu en auras mesuré l’importance et quand tu auras perçu la générosité.
Et si tu refermes son écrin, sache qu’à toute nouvelle ouverture, un autre de mes jours te reviendra. Fais en bon usage et si le cadeau te plait, n’hésite pas à ton tour, à offrir un des tiens. Seulement, il te faudra bien choisir l’écrin.
Pour le plaisir.
« Les sentiers battus n’offrent guère de richesse ; les autres en sont pleins. » Jean Giono.
 
 
 
La note bleue
 
 
 Révolutionnaire !
Nous sommes dans une époque où il est de bon ton de bousculer les habitudes, les instances établies depuis des lustres et les conventions universellement acceptées. Et cet esprit rebelle se loge parfois dans des univers que nous ne soupçonnons d’aucune façon. C’est précisément ce que j’aime ressentir sur les barricades invisibles à l’œil nu…
Ce matin-là, comme d’habitude je presse le bouton « on » de ma radio fidèle. Après quelques informations d’usage, est donné un morceau de Chopin. Une nocturne. Pour un réveil c’est contestable, je vous l’accorde mais ce piano seul et ses notes qui dansent introduisent en moi ce soupçon d’énergie dont j’ai besoin pour   démarrer ma journée sous de bons hospices. Après une entame un peu lente, certes, la « numéro vingt » s’anime tant, que mon humeur vire au guilleret, quasi instantanément. Est-ce cela ? Etais-je encore dans l’étrange fusion de ma fin de nuit avec cette nocturne de Chopin ? Pourtant quelque chose d’inattendu se produisit…
Des taches bleues s’échappent, sortent de ma radio ! Enfin, quand je dis des taches, ce n’est pas exactement cela…Plutôt des petits éclairs comme de minuscules oiseaux bleus prenant leur envol, propulsés par les ouïes de mon poste. Interloqué dans un premier temps, je me concentre sur mon café et ses arômes, feignant mépriser cette vision. Certain de mon réveil un peu difficile, je me frotte les yeux, sûr que quelques résidus de sommeil parviennent à troubler la lucidité de mon regard. Celui-ci désormais opérationnel selon moi, exerce un large travelling dans la pièce et là, stupéfaction ! Au rythme du piano, une nuée de notes bleues envahissent délibérément mon espace…et disparaissent, instantanément dès que Frédéric laisse mourir son dernier trille nocturne.
Pour le moins désappointé, je n’en continue pas moins mes activités quotidiennes et j’ouvre ma revue artistique favorite. Outre articles picturaux et photographies analysées et commentées de mille façons, ce mois-ci sont présentés des partitions anciennes, d’œuvres de compositeurs célèbres. Quelle n’est pas ma surprise que de percevoir ces mêmes minuscules « oiseaux bleus » s’évader de ma page désormais ouverte ! Cette fois j’en suis convaincu, il vient de se produire un évènement singulier dans le monde des notes de musique…
Un instant circonspect, je reprends mes esprits troublés et prête l’oreille à cette nouvelle nuée de points bleus qui me tournent autour. Force est de constater que le réquisitoire auquel je suis soudain l’auditeur privilégié est renversant. Point de musique mozartienne ni romantique, seulement un discours clair et empressé. J’apprends que les notes et signes musicaux sont saturés de noirs et de blancs. Des siècles d’écriture se sont acharnés à les transcrire à l’aide de jolies et talentueuses plumes, mines graphites ou encres des meilleurs fabricants mais désespérément en noir. Au mieux quelques fois, des chiffres ont eu droit aux teintes rougeâtres mais ce ne sont que des chiffres ! Alors, un vent de contestation est né.
Noires, blanches, rondes, croches et dièses se sont réunies et ont décidé d’une action commune. Désormais, l’invisibilité de leur existence sera remplacée par toutes les couleurs de l’arc en ciel. Fini l’enfermement dans de tristes portées, finies les partitions ennuyeuses, finis les uniformes et place au bigarré, au « multicolorisme ». Un premier essai est en cours ce matin. Une première couleur est adoptée à l’unanimité pour les noires : le bleu.
Et j’ai cette chance incroyable d’être le témoin privilégié de cette révolution. J’ai vu la première note bleue.
Fallait-il que ça « tombe » sur moi, l’amoureux des couleurs ? Dans un chant bien mal maitrisé je leur ai confirmé mon adhésion et l’engagement d’en faire part au reste de la population. Je suis donc, ce matin, l’heureux messager des notes et diffuse avec toute mon énergie, leur révolution. Sera-ce suffisant pour remettre de la joie dans nos têtes pleines ?
Fermer les yeux en écoutant votre musique préférée et vous verrez certainement danser de multiples points colorés sur votre rétine intime. Danser avec elles…
 
 
Virus d’amour
 
Assis à califourchon sur ma noire épine,
Je regarde passer les belles promeneuses,
Guettant celle, qui de curiosité taquine
Tendra une main vers ma rose cajoleuse.
 
En réalité j’attends depuis de longs jours
Mon élue majuscule, ma majestueuse
Icelle que je veux contaminer d’amour
De mes fulminantes toxines aguicheuses.
 
Qu’il me fallut d’efforts de mes milliers de bras
Pour atteindre enfin ce haut piège maléfique !
Ma pourpre complice, subtile Baccara
Me prêtant ses armes, effluences et piques.
 
Enfin Psyché me vînt, tel un blanc papillon
Voletant légère, de roses en incarnates.
A l’approche de sa main vers mon aiguillon
Je me dresse et espère enfin ma délicate.
De cris et de sang, ainsi commence mon rêve !
Tel un plaisir contenu je libère en elle
Instantanément forts poisons et douces fièvres
Promis à séduire mon hardie demoiselle.
 
Mon voyage en elle est vif, chaud et merveilleux
Allant de cours alanguis en tissus velours,
De ses poumons émus à ses seins orgueilleux.
Ulysse n’a jamais suivi si beau parcours !
 
Soudain un séisme d’infinie magnitude
Irradie chaque cellule, maints corpuscules.
Le frisson d’amour sublime sa plénitude
Peignant son ventre de papillons minuscules.
 
Ainsi la belle désirée est amoureuse !
Ma stratégie virale avérée astucieuse,
Il me faut quitter les chairs de la délicieuse
Et homme, lui offrir la rose épineuse.
 
Moralité : « Qui veut la main pique le doigt ! »
 
 



Vous avez dit romantique ?
 
« L’imagination et la sensibilité tournent naturellement l’homme vers lui-même. » Les Romantiques.
 
 
Mais, d’où viennent donc ces oiseaux ?
Ainsi s’interroge Nabel, le nez dans l’horizon et le regard inquiet. Il n’en a jamais vu autant ; ce sont de véritables nuées qui zèbrent le ciel déjà bien obscurci par les nuages d’automne. Deux fois par semaine il vient dans cet endroit mystérieux, presque inaccessible au marcheur non averti. L’éperon rocheux sur lequel il trône ce midi est le lieu de toutes ses méditations.
En effet, au prix d’une escalade difficile, Nabel aime s’abandonner à cette solitude profonde, intense et il adore contempler les brumes voiler le fond de la vallée dans de géantes volutes évanescentes. Le vent y est toujours présent, généralement fort et bruyant. Il tient à rester debout, dans cette posture caractéristique du dominant ou du moins, de celui qui brave courageusement les éléments. Pour cela, il s’appuie sur son bâton en bois de houx, fidèle et unique compagnon de randonnée. Il apprécie surtout, sentir le vent le bousculer, gifler son visage offert et tenter de s’engouffrer dans ses vêtements clos.
Nabel ressent la même jouissance à chaque fois qu’il s’adonne à cette relation amoureuse avec cette nature surréaliste. D’aucuns seraient transis de peur et de froid en ce lieu surnaturel. Nabel dit à qui veut l’entendre que la solitude ça n’est pas être seul mais c’est être enfin avec soi. Et ici, il se retrouve avec son « lui-même », total, entier. Le contexte ne fait que renforcer cette intime rencontre et tisse nombre de connexions entre toutes les facettes éparpillées de sa pensée. Il en repart généralement, à regret mais comme réinitialisé, reconstitué. Et donc plus fort.
Cependant, la présence des oiseaux noirs perturbe ce processus, aujourd’hui. Ils volent en groupes successifs semblant transporter d’invisibles fardeaux d’un bout de la vallée à l’autre. Puis ils repartent vers un nouveau trajet, un autre ballet identique. Fallait-il y voir une signification particulière ? Nabel se mit à penser qu’ils tournaient autour de…lui ! N’était-il pas le seul être vivant digne d’intérêt dans ces lieux hostiles et osant se confronter avec une réalité a priori peu favorable. Les oiseaux au prix d’un ennui probable et l’ayant aperçu lui faisait une sorte de ronde, d’aubade. Voilà, c’est aussi simple que cela. Il ferme donc les yeux sur cette pensée.
Comme un songe, naissent dans son écran intérieur de délicieuses images, de sensuels souvenirs récents. En effet, la volupté des sens lui sert souvent de vecteur dans ses transports méditatifs. Les mains de la belle Andar, sa compagne, sur sa peau ce matin, au réveil se mêlent petit à petit aux violentes rafales d’Eole, maître des lieux. Les désirs et plaisirs respectifs semblent si proches. Ce savant mélange de contrastes entre son imaginaire et le réel, lui procure cet infini frisson qu’il affectionne particulièrement. Sans pouvoir expliquer rationnellement ces manifestations psychologiques, physiologiques même, il en tire néanmoins tous les bénéfices et se berce lascivement de cette étrange illusion. Après ce moment singulier et sortant presque douloureusement de l’acmé de sa jouissance, Nabel ouvre les yeux.
Un oiseau perché sur une vieille souche de bois noir, à quelques mètres, le regarde.
Nabel reste un instant circonspect à la vue de cet oiseau qui ne semble aucunement effrayé, ni par sa présence, ni par son regard. On peut même dire que la situation lui échappe un instant ; il doit faire un effort de rafraichissement de sa lucidité pour s’assurer de la réalité de ce qu’il voit. Jamais jusqu’alors, Nabel n’avait été aussi déstabilisé par un animal, non agressif s’entend. Il bouge son corps, se mobilise, change de position, fait quelques pas de coté autant pour tester les réactions de cet oiseau bizarre que pour tenter d’échapper à cette réalité dérangeante. Revenu à sa position initiale, il se surprend à exécuter cet acte totalement incroyable : parler à l’oiseau !
–       « Que me veux-tu, triste animal ? »
En entendant ses propres paroles, Nabel se demande soudain s’il n’est pas devenu fou et regrette déjà ses mots idiots tout en se sentant rougir légèrement. « Ça ne va vraiment plus » se dit-il intérieurement ! Au comble du ridicule, il s’apprête à tourner les talons et partir, penaud. Quelle n’est pas sa surprise d’entendre soudain :
–       « Pourquoi fuis-tu encore, Nabel ? »
Il en a connu des émotions dans sa vie mais là… ! Il ne sait pas quelle sensation le paralyse le plus : le fait que cet oiseau lui parle ou la question elle même ! Nabel choisi instantanément, cependant, de répondre.
–       « Mais de quelle…fuite…parles-tu ? Tu ne me fais…pas…peur…
–       Tu veux échapper à ton « réel » en venant ici si souvent, Nabel » affirme péremptoirement la voix qui émane de l’oiseau.
Plus de vent, plus de brume, plus d’horizon, plus de vallée profonde. Nabel ne perçoit plus rien de ce qui l’entoure. Seul ce maudit oiseau immobile sur sa souche pourrie existe désormais pour lui. Et ses affirmations définitives. Nabel tente de faire le point rapidement. « Echapper à son réel ? » Il est vrai, pense-t-il toutefois dans sa panique, que venir sur ce promontoire au bout de la terre est une façon de s’éloigner du monde social qu’il déteste de plus en plus. Il ne peut le nier. D’ailleurs, il se répète fréquemment lors de ses escalades que « plus le chemin monte plus la densité d’imbéciles diminue… ! » Cette remarque ultra personnelle lui revient dans un éclair de lucidité. Etait-ce un refus de l’obstacle ? Etait-il à ce point asocial, rebelle ?
–       « Ta réalité ne te convient pas, Nabel, tu t’en crées une autre, comme tous les Hommes. Tu t’inventes un double, un monde parallèle qui sert à la fois d’alibi à ta fuite et de compensation dérisoire au seul monde possible qui est le tien* » déclame l’oiseau.
Ces mots résonnent tellement dans la tête de Nabel qu’il pense qu’elle va exploser. D’autres, plus personnels, se percutent, s’entrechoquent avec ceux de l’oiseau comme « la vraie vie, l’immanence, le bonheur… », qu’il utilise souvent quand il philosophe. Ou croie philosopher. Tous ses grands principes lui reviennent comme un boomerang et le déstabilisent complètement. « Pas faux, ce que me dit cet emplumé » se surprend-il à penser.
–       « Je viens ici pour…pour le paysage, pour la beauté du lieu…, pour…m’évader… » bégaye-t-il.
Cette phrase hésitante s’échappe de ses lèvres et au moment où il en prend conscience, seul le dernier mot s’impose à lui. Interdit, il fixe piteusement le volatile.
–       « Regarde mieux ton aimée Andar aux confins de vos moments partagés, regarde enfin les Hommes vivre et descend au fond de ta vallée, Nabel. Regarde aussi le vol des oiseaux ; s’il est circulaire, tu n’en es pas le centre. Peut-être y verras-tu naitre la musique. » lance sereinement l’animal.
 Avant que Nabel puisse formuler la moindre pensée, l’oiseau se détourne lentement et d’un coup d’aile, prend son envol. Laissant l’homme pantois.
Anéanti. C’est le mot qui convient pour décrire son état, là, maintenant. Il est figé dans sa circonspection et paralysé dans ses réactions. D’ailleurs, il se demande s’il sort d’un rêve, d’un cauchemar ou d’une illusion d’optique. Péniblement cependant, il émerge lentement, relève la tête vers cet horizon qu’il vénérait jusqu’à présent et perçoit, comme une douleur lombaire renaissante, les derniers oiseaux s’effaçant dans les brouillards. S’appuyant sur son bâton qu’il serre comme bouée de sauvetage, il fait demi-tour et entreprend la descente sur le sentier, entre les pierres humides. La tête basse.
Tel Zarathoustra descendant de sa montagne pour rejoindre le monde des Hommes, Nabel ressasse les mots échangés avec l’oiseau. Sans parler d’auspice, il repart, néanmoins avec une forme de prescription qu’il n’a nulle envie de ne pas suivre. Cela le surprend car il ne se savait pas homme à douter, à revisiter aussi facilement ses convictions. Mais ce moment, il le sent bien, sera désormais déterminant dans sa vie. Il décide pourtant de ne s’en ouvrir à personne, sachant très bien que le risque est de se voir affublé d’hallucinations auditives digne d’un schizophrène et au pire, d’apparaitre faible aux yeux des autres. Il lui fallait apprivoiser une nouvelle approche de l’humilité avec du temps, beaucoup de temps.
Parce qu’enfin, Nabel a parfaitement compris le message. Prendre conscience de son égocentrisme, de son égotisme, est douloureux. Surtout quand cela vient de sa propre introspection. Le prix à payer est lourd. La fusion avec une nature mélancolique, les passions jusqu’à la souffrance, une survalorisation du Moi entre autres, tout en lui respirait le romantisme de la meilleure époque. L’oiseau lui a ouvert les yeux finalement sur sa fuite ; il acquiesce.  Il reconnait cette évidence.
Arrivé dans la vallée, Nabel sourit. Il aperçoit Andar cueillant des fleurs dans leur jardin et… il frissonne d’une joie, toute nouvelle.
 
 
 
Les lunettes de soleil
 
« Veuillez garder vos ceintures de sécurité attachées jusqu’à l’arrêt complet de l’appareil… »
Vincent s’apprête à atterrir sur son ancienne planète et à replonger dans l’océan de ses vieilles habitudes d’homme solitaire. D’homme seul en réalité. Il venait, quatre heures plutôt, de quitter un monde plein de soleil, de touristes et d’agitation estivale. Certes, il y a côtoyé nombre de personnes probablement fort intéressantes mais, une fois de plus, il n’a pu lier de véritables amitiés. Vincent ne peut se résoudre à parler de tout et de rien, à faire semblant et à manier des civilités qui l’exaspèrent. Il est conscient d’être peu affable dans un groupe humain…
Pourtant chaque été, il sacrifie au rite du dépaysement pour se donner l’illusion d’une vie sociale riche. Il n’est finalement pas dupe de ses propres artifices. Universitaire brillant, Vincent Bellegarde est cependant incapable d’organiser des vacances en conformité avec ses réels désirs d’évitement de ce tourisme de masse qu’il dénigre pourtant dans chacun de ses cours et chacune de ses conférences. Alors, par fainéantise reconnait-il, il achète une destination estivale dans une ile européenne. Grecque, le plus souvent.
L’hôtesse et son message stéréotypé l’ont presque tiré de ses pensées d’anticipation. En effet, Vincent se prépare à subir ces scènes d’embrassades, de retrouvailles, communes à tous les aéroports dès qu’un avion déverse ses entrailles dans les halls vitrés et bruyants. Ça aussi, c’est de l’ordre de l’insupportable pour ce solitaire. Il compte bien, caché derrière ses irremplaçables lunettes de soleil, jouer encore au fier quinqua, bronzé, assumant sa « totale liberté » en marge d’une vile populace.
La voilà enfin ! Sa vieille valise rouge, éculée et rafistolée à plusieurs endroits ce qui lui confère d’ailleurs un statut insolite, évitant ainsi toute confusion. C’est encore la marque, sciemment cultivée, de cette image de baroudeur à laquelle tient Vincent. Comme ses cheveux bouclés, gris et longs, son grand front dégagé, son regard bleuté, tout participe de cette construction humaine débordante de charisme et de prestance.
Emporté par la foule excitée, il déambule vers la sortie, calme et impassible. Il aperçoit cependant au loin, à l’entrée de la dernière chicane avant l’arène finale, un homme tenant un panneau orienté vers le flot de marcheurs impatients de se jeter dans les bras tendus d’une autre foule imbécile. Ce signe supplémentaire de sociabilité le pousse encore plus, à baisser les yeux. Luttant quelque peu pour contenir ses « co-déambulants », Vincent presse légèrement le pas, pour échapper au plus vite à cette curée affective. Quelle n’est pas sa stupéfaction, soudain, de lire sur le panonceau enfin atteint : « Vincent Bellegarde SVP » ! Il se bloque brutalement, comme figé par je ne sais quel processus de glaciation instantanée, manquant de faire tomber ses suivants énervés. Ne sachant visiblement quelle attitude adopter, il se décale sur la droite du parcours, et par la même, confirme au messager, la réussite de sa recherche silencieuse.
« Veuillez bien me suivre, Monsieur Bellegarde. » Sans plus de questionnement oral, sous l’effet d’une surprise maximale, Vincent suit docilement son interlocuteur tout en essayant de reprendre ses esprits. Ses pensées néanmoins défilent à grande vitesse, explorant sa mémoire vieille de trois semaines afin d’y retrouver un quelconque rendez-vous oublié ou une vague promesse amicale faite machinalement à son maigre entourage. Rien, non rien ne surgit de ses cogitations et c’est dubitatif, qu’il pénètre dans une pièce vide de l’aéroport précédé par le porteur du message. Celui-ci lui annonce la fin de sa mission et le prie de s’assoir sur l’une des deux chaises que comporte cette salle anonyme et plus que banale. Vincent s’assied donc mais devant l’absence d’explication de l’homme, s’enferme dans une angoisse naissante comme celle que l’on ressent avant l’annonce imminente d’une mauvaise nouvelle. Ne se déparant pas de ses inséparables lunettes de soleil, il les repousse cependant sur son large front avant de plonger sa tête dans ses mains légèrement tremblantes. Ensuite, les lunettes retombent invariablement sur son nez.
Que le temps semble long dans l’incertitude ! Combien de longues minutes se sont écoulées depuis qu’il est entré dans cette salle où rien ne se passe ? N’y tenant plus, Vincent se lève, ouvre à nouveau la porte par laquelle il est entré, constate béatement les activités d’un aéroport en plein mois d’aout. Il ne perçoit rien qui puisse être en relation directe avec sa situation ni de personne potentiellement dans la même attente que lui. L’angoisse fait place à un début de colère autant envers lui et son manque de réaction face au messager que vers cette situation qu’il ne comprend pas. Mais quelque chose, une forme d’intuition, lui commande de patienter. Il retourne s’asseoir et la tête appuyée en arrière, sur le mur, il décide d’attendre sereinement la suite des évènements, excluant ainsi toute irrationalité de sa situation.
Soudain, la porte s’ouvre et une femme entre. Elle s’assied rapidement sur la deuxième chaise de la pièce, à côté de lui. Vincent, à la fois par éducation et surtout par intérêt, se lève et adresse un bonjour très inquisiteur, insistant, à cette femme dont il est persuadé qu’elle va éclairer l’ensemble de ses questionnements. Elle répond très brièvement à son bonjour mais ne prend ni la parole, ni ne daigne seulement le regarder. Vincent comprend alors que cette nouvelle arrivée se trouve également dans une situation curieuse et renonce momentanément à prolonger la communication. Une drôle d’ambiance s’installe alors où flotte dans l’air une quantité d’émotions diverses, de ressentiments et de désarrois. On entend presque les cerveaux travailler telle une salle de serveurs informatiques. La lumière froide des néons ajoute s’il en faut, de la pesanteur à l’atmosphère.
C’est alors que Vincent, fait appel à ses connaissances, à toutes ses recherches intellectuelles et ses nombreuses lectures accumulées au cours de sa carrière universitaire et de ses longues soirées d’érudit solitaire. Lui vient à l’esprit de longues réflexions de sociologues, de « psy » de tous ordres, de philosophes sur la relation, la rencontre. Durkheim, Levinas, Lacan, autant de références auxquelles il fait appel comme un naufragé s’accroche désespérément à une branche fragile mais présentement…flottante. Prenant ainsi le parti d’éclairer la situation, seul, comme il en a l’habitude, il retrouve un peu de calme et de sérénité. Un nom s’impose soudain comme une lumière dans la caverne : Alain Badiou. Il avait été séduit, il y a quelques années par un de ses articles relatif à l’analyse de « la rencontre », justement. Vincent en a gardé un souvenir clair tant, il se sent concerné par ce concept, lui qui a tant de difficulté a entrer en relation simple avec les autres. Toutefois, il ne parvient toujours pas à faire la part entre le hasard, l’intentionnalité et les finalités de sa propre situation alors qu’il devrait être en train de regagner calmement son domicile. Mais n’est-ce pas le privilège, la chance du chercheur que de profiter de chaque instant « extraordinaire » pour en tirer les enseignements, pour en extraire in-fine les fruits et la substantifique moelle. 
Qu’il le veuille ou non, cette femme dont il ne connait rien, vient d’entrer dans sa vie. Complètement. L’improbabilité, le hasard si l’on veut, se transforment en potentialité. Puisque je n’ai pas, pense-t-il, immédiatement fuit, les minutes passées passivement avec cette femme signent l’acceptation du début possible d’une aventure relationnelle. Un « commencement » dit Badiou. Pour le coup, il décide de tirer légèrement sa chaise, de pivoter un peu vers la femme afin de pouvoir la regarder discrètement. Vincent, sous l’emprise de ses méditations, ne satisfait pas ici un simple besoin de curiosité ; son regard a pour mission de mieux évaluer l’impression physique, psychologique de sa voisine. Attirance, répulsion ? Qu’en est-il ? Pour la première fois depuis de longues minutes, Vincent Bellegarde accorde à « sa rencontre » un intérêt singulier qui va bien au-delà de la simple présence, fortuite ou non.  Elle fait partie de son univers contingent et il commence à comprendre intuitivement un pan de ses difficultés relationnelles légendaires sous forme de questions : quelle place je donne à l’autre dans cet instant, quelles chances je lui accorde de s’intéresser réciproquement à ma personne, quelles dispositions je lui montre pour faciliter la communication ?  Il repense aux arguments cités par Badiou, lui-même inspiré par l’approche de Kierkegaard qui avait bien vu le lien entre le hasard et la nécessité d’un choix : « Le miracle de la rencontre, c’est cette conjonction paradoxale entre l’extérieur pur, soit une personne que je rencontre et l’intériorité pure soit les conséquences que je vais devoir en tirer de façon solitaire… »
Instantanément, par un geste quasi inconscient mais hautement symbolique, Vincent enlève ses lunettes de soleil. Ils échangent immédiatement un regard et chacun sent qu’il se passe quelque chose. Le regard, les yeux, l’instantanéité d’un captage émotionnel avec son cortège d’indications, tout en ce petit tas de secondes, plaide pour ce réel contact « physique » qui signe l’acceptation réciproque de l’autre et pour la reconnaissance de son importance. Ce regard fait office de première « déclaration » à l’autre. Déclaration de la rencontre.
Depuis, que cette femme est entrée dans la pièce, une salve de questions circonstancielles et omni présentes se presse d’évidence sur la langue de Vincent, du type « qui êtes-vous, est-ce moi que vous attendez, vous a-t-on, comme moi, obligé à suivre un messager vers cet endroit… ? » Les réponses en conséquence, auraient pu, auraient dû éclairer la singularité de leur situation commune et donné un sens rationnel à leur présence respective en ces lieux. Mais depuis ce regard échangé, Vincent sais désormais qu’il ne les posera jamais. Seule la perspective d’une construction de cette rencontre compte pour lui dorénavant et il n’a perçu à aucun moment dans la brièveté du regard échangé, le désir chez elle de matérialiser une quelconque logique. Ils sont là, ensemble, disponibles l’un à l’autre et c’est largement suffisant. En tout cas, Vincent n’a jamais connu de telles sensations pour le moment inqualifiables, sans nom et indescriptibles. Lui, l’austère, le lointain, le fuyant et le distant se surprend, par une proximité physique totalement inhabituelle, à désirer entrer en relation, en partage avec une autre personne. Une inconnue. Et ce désir est incommensurable.
Les mots de Badiou résonnent en lui encore, comme en filigrane. « Les gens se cramponnent aux identités…un monde opposé à la rencontre » Point de programme ici, seulement des occurrences loin de tout commerce lucratif. Vincent ne sait rien de cette femme ; rien au sens identitaire du terme. Mais il sait néanmoins qu’elle n’existe que pour lui en ce moment précis et qu’il y a toutes les chances qu’elle ressente la même chose. Est-elle virtuelle, réelle ? Tout en posant à nouveau son regard au plus profond de ses yeux emplis d’acceptation il se lève lentement et il n’est aucunement surpris de voir la femme en faire autant, se tournant vers lui, comme en effet miroir. Décrire le bouleversement, l’irruption volcanique multi site, l’explosion bilatérale des frissonnements est bien illusoire et proche de l’indescriptible.
« L’avènement de l’altérité » est magnifique à voir et seuls la tapisserie blafarde et les pâles néons de cette pièce anonyme peuvent en rendre compte. Tout reste à faire, à construire, à assembler, à synthétiser. Peu importe. Qui dans sa vie, n’a pas connu ces moments rares de convergences humaines, ne peut comprendre l’infiniment petit de la naissance d’une belle rencontre, le majuscule ressentiment de l’importance de l’autre et la bienfaisance d’un concours de circonstances.
Vincent Bellegarde quitte en cet instant ses vieilles hardes empreintes de peurs, de fausses certitudes et son jeu d’évitement. En ouvrant la porte pour sortir, accompagné de son alter-ego, il ne voit pas sa paire de lunettes de soleil abandonnée sur sa chaise…
 
« Autrui ? C’est l’autre, c’est-à-dire moi qui n’est pas moi. » Jean-Paul Sartre.
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 

Une réponse à « Nouvelles & poésies »

  1. Avatar de l’escalier sans fin – Emecka

    […] En quelques mots! […]

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